Les Manuscrits de Tombouctou: secrets, mythes et réalités – Jean-Michel Djian

Saturday 09th, November 2013 / 06:00 Written by

 

© Affoh Guenneguez

© Affoh Guenneguez

Lorsque le 25 Janvier dernier, les djihadistes qui se sont emparés du Nord Mali, ont perpétré un autodafé à la grande bibliothèque Ahmed Baba de Tombouctou, tout le monde a craint le pire. Cet événement à été l’occasion pour certains, d’entendre parler pour la première fois des Manuscrits de Tombouctou et des mythes qui entourent leur existence. Pour d’autres, il a constitué l’occasion d’ impulser une prise de conscience sur l’importance de cette richesse culturelle, écrite, qu’il faut impérativement préserver et déchiffrer.

C’est à cette période que j’ai entendu parler du livre de Jean-Michel Djian, : les Manuscrits de Tombouctou, paru aux éditions JC Lattès en octobre 2012.

Jean-Michel Djian est journaliste et auteur, entre autre de: Politique culturelle, la fin d’un mythe (Gallimard, 2005), d’ Aux arts citoyens, De l’éducation artistique en particulier(Homnisphères, 2009) et d’une biographie, Ahmadou Kourouma (Seuil, 2010).

Les Manuscrits de Tombouctou contient principalement des contributions d’experts : historiens, écrivains, philosophes tels que Doulaye Konaté, Mahmoud Abdou Zouber, Cheikh, Cheikh Hamidou Kane, Souleymane Bachir Ndiaye et de sublimes photos du photographe malien Seydou Camara.

Il s’agit d’un véritable voyage dans cette région de l’Afrique, à travers l’histoire de ces ouvrages. Les auteurs nous parlent aussi bien de la manière dont ils ont été réalisés que de leur contenu, en passant par des informations sur les érudits, auteurs ces manuscrits.

Estimés à plus de 900 000, ils ont, pour la plupart, été réalisé entre le XIIIe, pour les plus vieux d’entre eux et le XIXe siècle. Les sujets qui y sont abordés sont vastes. On y trouve des traités politiques, de climatologie, de médecine… Des informations sur le cours du sel et des épices, les ventes, des actes de justice, des précis de grammaire. On y retrouve également des conseils sur les relations sexuelles, des mises en garde sur les méfaits du tabac, des explications sur les bienfaits de la prière en commun ou encore de la littérature notamment de la poésie et de la fiction. Des extraits, de manuscrits traduits sont présents dans le livre. Nous avons par exemple le traité de Abdul Karim al-Maguly, conseiller de l’empereur Aski Mohamed, intitulé : “A propos des bon principes de gouvernement” datant XVe siècle. Il semble que la “genèse de cet écrit (soit) très similaire à celle du Prince de Machiavel” (p. 76), essai écrit, beaucoup plus tard, au XVIIe siècle.

On retrouve ces manuscrits à Tombouctou, à Djenné au Mali, Chinguetti en Mauritanie ou encore Agadez au Niger. “Cette diversité des endroits où vous pouvez les trouver est l’expression de la connaissance nomade dans le XIVe siècle”. Toutefois, il serait plus de 100 000 dans la seule ville de Tombouctou et sa région. On les retrouve dans des bibliothèques familiales, entassés par dizaine dans des coffres poussiéreux. Ils sont également nombreux à la bibliothèque Ahmed Baba, du nom du célèbre érudit de l’époque qui dès 1615, dans Échelle pour s’élever à la condition juridique des Soudanais réduits en esclavage, rejette le mythe de la malédiction de Cham en s’opposant à l’esclavage et à la déshumanisation de l’esclave.

Les auteurs nous parlent également de quelques uns des ces érudits, prolifiques, parfois issus d’une seule et même famille; comme la famille Kounta, à qui l’on doit à elle seule, plus de 500 manuscrits… Ce explique que certaines bibliothèques familiales soient si riches.

Ces manuscrits sont pour la plupart, rédigés en Ajami. Il s’agit de la transcription en alphabet arabe des langues vernaculaires de la région tels que le peul, le Bambara, le Swahili, le Wolof ou l’Haoussa. Cependant, peu de personnes parlent ou comprennent l’Ajami aujourd’hui; ce qui rend leur déchiffrage difficile.

Au-delà de l’histoire de ces Manuscrits, les auteurs nous font replonger dans l’histoire même de cette région du continent, notamment de Tombouctou, cité florissante, qui au XVe siècle, à l’époque de l’Empire Songhaï , constitue le carrefour du sel et de l’or. Le commerce fervent connu par la région pendant deux siècles permettra l’éclosion d’un foyer intellectuel où se créeront, autour d’endroits emblématiques de la ville, telle que la mosquée de Sankoré ou encore la mosquée de Djingareyber, de nombreuses écoles, rassemblant dans leur ensemble près de 25 000 étudiants, venant de toute l’Afrique : de Fès, du Caire, de l’empire du Ghana… Ces élèves sont réunis devant des Ulémas, accompagnés de copistes, qui reproduisent fidèlement tout ce qui est dit. D’après Jean Michel Djian “cette économie fondée sur la connaissance, organisé depuis des siècles, n’a pas d’autre équivalent dans d’autres régions de l’Afrique.”

Les auteurs nous parlent également des Empires qui se sont succédés, de Kankan Musa du Mali en passant par la dynastie des Askias de l’Empire Songhaï. Des échanges commerciaux, en passant par l’islamisation qui a joué un rôle important dans le rayonnement culturel de la région et sa production intellectuelle. L’auteur nous parle également de la vie politique et culturelle. Des échanges entre la région et le Maghreb, l’Andalousie, l’empire du Ghana et bien d’autres. Ils nous parlent également des premiers explorateurs occidentaux de la région : R. Caillé (1828), H. Barth (1853) et F Dubois (1896) et de leurs chroniques sur la ville mais également des premières chroniques africaines qui constituent les premières sources écrites sur l’histoire de l’empire du Songhaï : Le Tarikh-es-Soudan et le Tarikh-el-fattach (XVème)… De personnages illustres issus de l’Université de Sankoré de Tombouctou comme Aben Ali, “un médecin formé à l’université de Sankoré de Tombouctou, qui suivra son maître Ysalguier, installé à Gao mais originaire de Toulouse, cité qu’il retrouvera à la fin de sa vie. Il ira s’installer en 1419 et restera dans l’histoire pour avoir, en cinq jours à peine, sauvé de la fièvre jaune le futur Charles VII alors que les médecins du rois l’avaient condamné…” (p. 91)

Ils nous parlent également des anciens alphabets africains : les hiéroglyphes égyptiens, le guèze éthiopien, le méroïtique soudanais, l’écriture Bamoun du Cameroun… (voir vidéo à la fin de l’article)

Enfin, l’auteur aborde la question des forces internes et externes qui sont venues déstabiliser l’Empire et ont crée des dégâts irréversibles sur ce foyer intellectuel et sur le continent. Mais également de la question de la méconnaissance de cette richesse. Il nous donne des explications très intéressantes sur les raisons pour lesquelles, les africains eux-même puis l’idéologie africaniste occidentale fondée sur le mythe de la prévalence de l’oralité sur le continent africain, idée perpétuée et soutenue par des auteurs et penseurs africains, ont contribué à occulter l’existence de ces manuscrits et au manque d’intérêt pour leur contenu.

Cette méconnaissance maintien l’ignorance d’une partie de l’histoire de cette région pour les Maliens, les ouest-africains , les africains et le reste du monde. Aujourd’hui, il est important que des actions soient entreprises pour leur collecte, leur conservation, leur catalogage, numérisation , traduction et exploitation. Le docteur Mahmoud Abou Zouber, préconise “la création urgente de groupe de recherche composé de spécialiste ouest-africains, maghrébins et d’autres horizons pour une exploitation scientifique de ces documents, qui renferment des faits nouveaux et inédits de la plus haute importance, et qui établissent ainsi la preuve que les Soudanais (les noirs/Africains) ont acquis une grande maturité culturelle qui leur permet d’écrire eux-même leur histoire et de spéculer sur le droit, la logique, la médecine, la théologie, l’astronomie et la grammaire.” (p. 145)

La mise en valeur et l’exploitation de ces manuscrits, remettraient définitivement en cause l’idéologie africaniste occidentale fondée sur le mythe dominant de l’oralité, le “propre” du continent africain, qui ferait de ce dernier un continent “a-historique”. Ces manuscrits prouvent que l’oralité et l’écrit se sont longtemps cotoyés sur le continent.

Le déchiffrage de ces manuscrits est d’autant plus important dans un contexte où les africains tentent de se réapproprier les ressorts de leur historicité en tentant d’appréhender le passé , le présent et le futur, d’un point de vue “africanisé”. À l’heure où à Accra ou en Afrique du Sud, sont organisés des congrès sur la réappropriation de l’histoire du continent et notamment la question de “trouver un discours africain pour parler du passé”, ces manuscrits pourraient certainement nous offrir des réponses et pistes de réflexions…

Cet article a d’abord été publié à l’adresse suivante : My library

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