Pourquoi Oury Jalloh a-t-il trouvé la mort dans une cellule d’un poste de police Allemand?

Saturday 30th, November 2013 / 19:43 Written by

 

© Björn Kietzmann

© Björn Kietzmann

L’un des procès les plus énigmatiques que l’Allemagne a connu depuis l’après-guerre, devra être réexaminé. Cet article est une chronologie des faits qui ont été prouvés mais également des nombreuses aberrations qui n’ont pas encore été élucidées.

Écrit par Marius Münstermann

Traduit par Affoh Guenneguez

Ce que l’on sait peut être résumé en une seule phrase: Le 7 Janvier 2005, Oury Jalloh, un demandeur d’asile Sierra-Léonais est mort brûlé vif dans la cellule d’un poste de police de la ville de Dessau.

Depuis, le récit qui domine le débat public en Allemagne, est resté proche de la version officielle des évènements, donnée par la police, le jour-même. Il nous dit ceci:

Le soir, la police a été informée que quatre femmes auraient été harcelées par Oury Jalloh qui leur demandait leur téléphone portable afin de pouvoir passer un appel. À leur arrivée, les policiers tentent de vérifier l’identité de Jalloh. Ils arrivent difficilement à l’établir et Jalloh proteste avec véhémence. Il  sera donc conduit au poste de police.

Sur les lieux, un docteur attestera que Jalloh a un taux d’alcoolémie de près de 3%. Toutefois, au lieu d’ordonner son transfert à l’hôpital, le médecin déclare qu’il est apte à être détenu. Après une fouille corporelle réalisée par deux officiers, Jalloh sera escorté dans sa cellule, située au sous-sol du poste de police. Il aura les mains et les pieds attachés de chaque côté, sur recommandation du docteur afin que Jalloh ne puisse pas “se nuire”. À l’encontre de toutes réglementations, Jalloh sera abandonné ainsi. Quelqu’un  viendra vérifier son état, seulement à chaque demi-heure. Le dernier contrôle officiellement déclaré aura lieu à 11h45.

L’officier en service, qui était assis dans une pièce à l’étage supérieur du poste de police, diminue le volume de son interphone après avoir, selon ses dires, été perturbé par le bruit provenant de la cellule de Jalloh. Il augmente ensuite le volume après avoir été invité à le faire par son collègue. Ils ne déclareront pas la suite, avoir remarqué une sorte de gargouillement dans la cellule.

Lorsque l’alarme incendie se déclenche à midi, elle sera ignorée par le policier en service. Il expliquera plus tard que l’alarme avait été défaillante à plusieurs reprises dans les années précédentes (plus tard, les techniciens mettront en doute de cette affirmation). Quelques secondes plus tard, l’alarme se déclenchera à nouveau.

Lorsque les pompiers arrivent, ils découvrent Oury Jalloh brûlé vif, les mains et les pieds toujours attachés. L’explication officielle: Oury Jalloh aurait utilisé un briquet pour s’enflammer. Réfléchissez-y: Un homme, ivre mort, se serait mis le feu à lui-même sur un matelas ignifugé?

Ce n’est pas tout : le briquet que Jalloh aurait supposément utilisé sera présenté quelques jours après sa mort. Il n’était pas présent parmi les preuves. La vidéo qui a filmé les recherches de la cellule s’est arrêtée juste après que le corps de Jalloh ait été enlevé- aucun briquet n’est visible.  Aucune emprunte digitale, ni trace d’ADN, ni de restes de vêtements n’ont été détectés sur le briquet.

“Ce dont j’ai été témoin dans ce tribunal est le non-respect des principes d’un État de droit”

En 2007, la poursuite apporte des charges contre les deux officiers de police pour des présumées lésions corporelles ayant entrainé la mort. Pourtant, l’accusation suppose toujours que Jalloh s’est lui-même brûlé.

Deux verdicts plus tard, il devient clair qu’il était illégal de mettre Oury Jalloh en détention. La cour imposera une amende de 10 800 € à l’officier de police en fonction pour homicide involontaire. Pourtant, des contradictions demeurent. Par exemple, une nouvelle autopsie prouvera que le nez de Jalloh a été cassé et ses tympans rompus. Toutefois, la mort de Jalloh sera le résultat d’un choc thermique. En effet, les hormones habituellement libérés lors d’une situation de panique (noradranéline) sont introuvables dans l’urine de Jalloh, ce qui suppose qu’il était inconscient au moment où il a pris feu.

En Décembre 2008, l’autre officier a été acquitté de toutes les charges qui pesaient contre lui. Le juge a affirmé:

Finalement, nous ne pouvons pas déterminer ce qui s’est passé ce jour-là (le jour de la mort d’Oury Jalloh).  J’ai pu voir lors de ce procès, le non-respect des principes d’un État de droit. Les policiers qui ne se sentaient pas engagés par la primauté du droit n’ont pas rendu possible, une clarification juridique. Ces officiers, qui ont menti à la Cour, sont des personnes qui n’ont rien à faire dans ce pays en tant qu’officiers de police.”

Mal Élevé, front singer of Irie Révoltés, is taken into custody during a demonstration for wearing a t-shirt that claims police to be behind the death of Oury Jalloh. © Montecruz Foto

Mal Élevé, front singer of Irie Révoltés, is taken into custody during a demonstration for wearing a t-shirt that claims police to be behind the death of Oury Jalloh. © Montecruz Foto

À l’extérieur du tribunal, plusieurs centaines de personnes manifestaient et appelaient à une clarification totale de l’affaire. Mouctar Bah, l’instigateur de l’Initiative à la mémoire d’Oury Jalloh” sera ciblé par la police. Il sera jeté au sol et frappé jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Il sera transporté à l’hôpital dans une ambulance. Les officiers déclareront qu’ils ne toléreraient plus l’utilisation du mort “meurtre” dans l’affaire Oury Jalloh, malgré une décision de justice de 2006 qui déclare que la police n’a pas de restriction légale qui leur permette d’interdire certaines déclarations lors de manifestations. Tout récemment, l’Initiative à la mémoire de Oury Jalloh” a été accusée de diffamation. Porter un t-shirt sur lequel on peut lire “Oury Jalloh- c’était un meurtre” est suffisant pour être accusé.

Nouveau rapport: Des combustibles doivent avoir été utilisés pour mettre le feu à Oury Jalloh

Récemment, un nouveau rapport financé par l’Initiative à la mémoire de Oury Jalloh” et mené par un enquêteur irlandais indépendant, spécialiste des incendies criminels, révèle que Oury Jalloh n’a pu se mettre le feu à lui-même. Nadien Saeed, la porte parole de l’initiative souligne que: “Au moins trois litres de combustible ont dû être utilisés (voir vidéo ci-dessous):

Avertissement : Cette vidéo contient des images choquantes

Oury Jalloh – This was Murder from Initiative Oury Jalloh on Vimeo.

Thomas Wüppesahl, porte-parole de l’Association des Officiers de Police Critiques, déclare :

De nos jours, il est courant que les officiers de police protègent leurs collègues en supprimant des preuves ou en faisant de fausses déclarations. Dans cette optique, certains documents et pièces à conviction sont effacés, falsifiés, éliminés- ou ils disparaissent comme par magie. La distorsion de la police Allemande est beaucoup plus réelle que les fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur et de la Justice le pensent. Ceux qui dénoncent cette vérité qui dérange sont taxés de théoricien de la conspiration.”

C’est dans ce contexte que de nombreux observateurs établissent des parallèles entre l’affaire de la NSU dans laquelle les fonctionnaires sont également confrontés à des allégations d’obstruction et de nombreux échecs. Bligin Ayata, politologue à l’Université Libre de Berlin, déclare:

La révélation de structures racistes endémiques qui existent au sein de la police et de l’autorité de l’État a atteint un niveau consternant en Allemagne. Au cours des enquêtes sur la NSU, il a été révélé que des policiers ont fondé une section Allemande du Ku-Klux-Klan dans l’état fédéral du Baden-Württemberg, par exemple. De plus, la commission d’enquête du Parlement Allemand qui a examiné pendant un an et demi le rôle de l’appareil sécuritaire de l’Allemagne dans le cadre de l’enquête de la NSU a fourni suffisamment de preuve sur l’étendu du racisme institutionnel. Néanmoins, il n’y a toujours pas d’engagement contre ce racisme institutionnel en Allemagne. Même la commission d’enquête qui énumère une pléthore de cas dans leur rapport de 1000 pages, évite l’usage du terme ” racisme institutionnel” dans sa propre évaluation. Ceci est le signe d’un manque de volonté politique de faire face aux convictions liées à la violence raciste en Allemagne. Le meurtre de Oury Jalloh doit être analysé dans ce contexte, et ce d’autant plus que le niveau de brutalité et l’endroit même où il s’est produit, porte tout ce que nous savions jusqu’à présent, notamment sur ces dernières décennies à un autre niveau. J’ai suivi cette affaire au cours de ces dernières années à travers les médias et selon moi, elle soulève sans cesse les mêmes questions : comment est-il possible, qu’un homme aux pieds et mains attachés dans une cellule, soit brûlé vif sans qu’un seul officier n’intervienne pour empêcher cela?  Un nouveau procès s’impose de toute urgence mais il est également nécessaire qu’il y ait un débat populaire à propos  de ce qu’il nous reste d’humanité au regard de cet acte raciste d’une inconcevable brutalité dans un poste de police et ailleurs en Allemagne.”

Il ne s’agissait pas du premier cas de décès dans ce poste de police lors d’une détention. En 2002, le sans abris Mario Bichtemann a été arrêté et abandonné dans la même cellule dans laquelle il a été retrouvé mort quelques jours après. L’enquête n’a pas abouti et les officiers ont été lavés de toutes les accusations. En 1997, un autre homme,  détenu pour une garde à vue dans ce même poste de police à Dessau. Le lendemain,  il a été retrouvé mort sur le trottoir, à quelques mètres du poste.

Yonas Endrias, politologue à l’Université Libre de Berlin et activiste afro-allemand, qui a longtemps observé le procès dans l’affaire Oury Jalloh déclare:

L’enquête judiciaire de l’affaire, s’arrêtait à chaque fois que ça devenait intéressant.”

Selon Amnesty international, l’Agence Nationale pour la prévention de la Torture n’est pas dotée de ressources suffisantes et n’est donc pas en mesure de s’acquitter de ses fonctions efficacement et en conformité avec les obligations découlant du Protocol Facultatif Contre la Torture (OPCAT). En 2010, le rapporteur spéciale de l’ONU sur la torture cite l’Allemagne comme un exemple où le Mécanisme National de Prévention (MNP)

n’est évidemment pas en mesure de remplir sa mission. La déclaration affirme plus loin qu’en Allemagne, le MNP fédéral est composé uniquement d’une seule personne non-rémunérée à temps partiel et d’une Commission Mixte des états fédéraux (Länder) composée de quatre membres à temps partiel , non-rémunérés, dont le budget annuel combiné ne doit pas dépasser 300 000 Euro. Ce mécanisme est évidemment incapable d’assurer une couverture géographique complète de tous les lieux de détention. Une telle approche pour la mise en œuvre du OPCAT est contre-productive dans la mesure où elle ne prend pas les problèmes de torture et de mauvais traitement en détention au sérieux et est un mauvais exemple pour les autres États.”

Le gouvernement Allemand a ratifié depuis longtemps la convention de l’ONU contre la torture. Pourtant, comme s’en plaint Yonas Endrias : ” contrairement à l’Angleterre par exemple, nous n’avons pas de comités indépendants qui pourraient contrôler la police.” En effet,  très peu de plaintes contre des officiers de polices sont traduites devant les tribunaux. La majorité des plaintes est traitée à l’interne par la police. Par conséquent, Amnesty International demande des structures de plainte indépendantes. De même l’Association des Policiers Critiques déclare:

À l’heure actuelle, tous les systèmes de surveillance fonctionnent rarement ou pas du tout. Il ne manque pas d’exemple pour les modèle de surveillance indépendant en Europe – un coup d’oeil à l’Angleterre et l’Ireland est suffisant.”

Selon Amnesty International,  les abus et usages excessifs de la force par les officiers de police sont un phénomène courant. La plupart de ceux qui souffrent de cette violence sont des “citoyens étrangers” ou des Allemands d’ascendance étrangère.

Le politilogue Endrias déclare :

Le pouvoir judiciaire n’est pas daltonien malgré une interdiction judiciaire du profilage racial. Ces ‘supposés contrôles indépendants’ restent une pratique policière courante en Allemagne.”

Endrias conclu:

Si, par exemple, un procureur blanc était mort à la place, la situation en Allemagne serait complètement différente. Ce n’est pas un scandale parce que Oury Jalloh était un demandeur d’asile noir.”

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